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La consécration par la loi de finances 2025 de la radiation du contribuable du Registre de Commerce et du Crédit Mobilier : une violation flagrante du droit communautaire OHADA.  

Parmi les multiples innovations de la loi de finances 2025, le législateur camerounais reconnaît à l’Administration Fiscale la faculté de radier du fichier des contribuables, tout contribuable qui n’a pas effectué ses déclarations fiscales sur une période de trois (03) années consécutives. Cette mesure est la résultante de l’article L2 quarter nouvellement introduit par ladite loi. Si les dispositions des alinéas premier et deuxième de cet article ne suscitent pas de curiosité, le contenu de l’alinéa 3 quant à lui est tout simplement hallucinant. En effet, ledit alinéa dispose que : « la radiation d’office du fichier des contribuables fait l’objet d’une notification au tribunal territorialement compétent en vue de procéder à la radiation du Registre de Commerce et du Crédit Mobilier ». L’exposé des motifs de la loi révèle queladite mesure vise entre autres à renforcer la traçabilité des contribuables et à faciliter le contrôle fiscal, en permettant au fisc de mieux traquer les fraudeurs. Seulement, bien qu’un tel dispositif puisse constituer un levier précieux pour la mobilisation optimale des ressources fiscales ; il n’en demeure pas moins que l’organisation, l’immatriculation et la radiation du Registre de Commerce et du Crédit Mobilier (RCCM) est l’apanage exclusif du droit OHADA, droit supranational.  L’on est par conséquent enclin à se poser la question de savoir sur quel fondement juridique le législateur camerounais a-t-il légiféré sur une matière qui échappe à sa compétence. Il s’agit là d’une véritable incongruité juridique qui peut se démontrer à plusieurs égards.

De prime abord, il apparaît que le législateur camerounais n’est pas compétent pour légiférer sur les matières qui relèvent du droit OHADA. En effet, la radiation du RCCM est encadrée par l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général (AUDCG) et l’Acte Uniforme sur le Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’intérêts Economique (AUDSCGIE). Il s’agit des matières du droit des affaires communautaire dont la légifération est de la compétence exclusive du législateur OHADA. Le législateur national ne saurait donc se reconnaitre le droit d’intervenir dans ces domaines. Il ne peut le faire que si et seulement si le droit communautaire lui en délègue expressément la compétence. Malheureusement, tel n’est pas le cas. En s’octroyant un tel droit, le législateur fiscal camerounais outrepasse délibérément et ostentatoirement sa compétence, empiétant sur celle du législateur supranational. Sa démarche est par conséquent dénuée de base légale.

En outre, la radiation du RCCM prévue par le législateur fiscal est contraire aux dispositions des articles 55 et suivants de l’AUDCG et celles de l’article 120 de l’AUDSCGIE qui définissent limitativement les hypothèses et les personnes habilitées à la solliciter. S’agissant des hypothèses, lesdits articles renseignent que la radiation peut intervenir pour les personnes physiques, en cas de cessation d’activité ou de décès. Pour les personnes morales, elle peut survenir en cas de dissolution et de liquidation de la société, en cas de la nullité de celle-ci ou en cas de fusion-absorption. Il en est de même lorsque, à l’expiration de sa durée de vie, une succursale ou un bureau de représentation appartenant à une personne étrangère n’a pas été apporté(e) à une société de droit OHADA existante ou à créer. Il s’ensuit que, quel que soit l’hypothèse, la radiation intervient selon le droit communautaire après cessation d’activités ou aux termes des opérations de liquidation. Il est donc clair que l’hypothèse de la radiation du fait du non-respect des obligations fiscales déclaratives introduite par le législateur camerounais n’a pas été prévue par le droit OHADA et est contraire à son esprit. Relativement aux personnes pouvant demander la radiation, seuls sont habilités : le commerçant lui-même ou ses ayants droits pour les personnes physiques, et le liquidateur pour les personnes morales. Le législateur OHADA n’a pas listé l’Administration Fiscale au rang des personnes habilitées à saisir le tribunal compétent aux fins de radiation du RCCM. Les nouvelles conditions de radiation introduites par le législateur fiscal de 2025 sont de nature à vider le droit uniforme OHADA de son essence. En effet, du point de vue de sa substance, le droit uniforme correspond à tout instrument juridique normatif ayant vocation à s’appliquer identiquement dans plusieurs Etats ou à se substituer aux lois des Etats. Il est évident que cette aspiration est loin d’être atteinte aujourd’hui, en ce sens que les dispositions applicables au Cameroun définissant les personnes habilitées à demander la radiation du RCCM ainsi que ses conditions ne sont plus les mêmes que celles en vigueur dans les autres Etats membres de l’OHADA. Ce qui constitue une aberration.

Enfin, il est incontestable qu’à travers la radiation des contribuables du RCCM à l’initiative de l’Administration Fiscale, le législateur camerounais crée un véritable conflit de lois. En effet, en édictant de nouvelles conditions de radiation du RCCM, ce dernier met en concurrence l’ordre juridique interne (norme fiscale nationale) et l’ordre juridique international (norme OHADA supranationale). Il convient de noter qu’un tel conflit ne saurait se solder en faveur de la loi camerounaise pour deux raisons. La première, tirée du principe de la hiérarchie des normes juridiques, établit l’ordre de prévalence des différents textes de lois applicables dans un Etat donné. Selon ce principe, la loi supranationale prime sur la loi nationale ; cette dernière devant obligatoirement être conforme à la première. La deuxième raison est tirée de l’article 10 du traité OHADA qui tranche clairement le conflit en disposant que : « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats Parties, nonobstant toute disposition contraire, antérieure ou postérieure ». La loi de finances 2025 étant contraire au droit OHADA, la radiation du RCCM fondée sur le défaut des déclarations fiscales ainsi prévue par l’article L2 quarter du Code Général des Impôts (CGI) est donc nulle et ne devrait produire aucun effet de droit.

En conclusion, la radiation du contribuable du RCCM du fait de sa défaillance déclarative fiscale est une inconvenance d’un point de vue juridique. Il en est ainsi car, elle empiète sur une matière relevant exclusivement de la compétence du législateur OHADA. Par ailleurs, sous le prisme du Droit OHADA, cette mesure est incohérente avec les hypothèses et les personnes habilitées à demander la radiation d’un commerçant du RCCM. Ce qui crée de facto un conflit de lois inutile, eu égard à la primauté de la législation OHADA sur la législation Camerounaise. Une telle mesure, en plus de créer une insécurité juridique pour les personnes physiques et morales, est nulle et de nul effet. Il est donc impératif de l’abroger au vu d’importantes conséquences désastreuses qu’elle est susceptible d’avoir sur ces personnes, notamment la perte du statut de commerçant, de la personnalité juridique et conséquemment le bénéfice des avantages y attachés.

Auteurs : Jean Didier Ozoto, Senior Tax & Legal Consultant), Martin J. Hendje, Tax & Legal Consultant; Superviseur : Albert Désiré Zang, Managing Partner

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