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Le régime fiscal de la cession indirecte d’actions au Cameroun

De 2012 à 2014, les plus-values suite à la vente des actions n’étaient imposables que dans le seul cadre des cessions directes d’actions réalisées au Cameroun ou à l’étranger. Avec la loi de finances pour l’exercice 2015, ladite imposition avait été étendue aux opérations de cessions indirectes d’actions. Cette évolution a abouti à la modification de l’article 42 du Code Général des Impôts (CGI) qui définit la cession indirecte d’actions comme : « (…) toute cession réalisée au Cameroun ou à l’étranger entre deux sociétés étrangères appartenant au même périmètre de consolidation lorsque l’une des entités de ce périmètre possède, entièrement ou partiellement, le capital d’une société de droit camerounais ». Au sens de l’article 44 du CGI, tel que modifié par la loi de finances 2015, il s’agit d’une transaction entre des entités étrangères, intervenue au Cameroun ou à l’étranger et entrainant la cession de la participation de l’entité étrangère cédante, dans le capital de la société camerounaise. Parce que les entreprises recourent très souvent à ce type de cession, l’administration suspecte qu’elle constitue un moyen de contourner certaines contraintes juridiques et fiscales. C’est donc en vue de sécuriser au mieux les recettes fiscales de l’Etat que le législateur fiscal camerounais a défini un ensemble de règles relatives à l’imposition des plus-values générés par ce type de transaction. Dans cette logique, la loi des finances pour l’exercice 2024 a complété le dispositif normatif des cessions indirectes d’actions en apportant des amendements sur les modalités d’imposition. Malgré lesdits amendements, la taxation de la plus-value sur cession indirecte d’actions reste floue à plusieurs égards et est susceptible de conduire à des abus. Il est donc judicieux d’apprécier le régime d’imposition actuel de la cession indirecte d’actions au Cameroun. Pour y parvenir, l’exposé du traitement fiscal de cette opération mérite d’être accompagné d’une analyse critique.

I.               Le traitement fiscal de la cession indirecte d’actions

La cession indirecte d’actions entraine trois principales conséquences sur le plan fiscal à savoir : la déclaration de la cession auprès du centre des impôts compétent, le paiement des droits d’enregistrement et l’imposition de la plus-value sur cession des titres. S’agissant tout d’abord de la déclaration, les articles L 1 et L 86 bis alinéa premier du CGI font obligation à l’entité camerounaise dont les titres sont indirectement cédés de déclarer la cession à son centre des Impôts de rattachement dans un délai de quinze (15) jours, à compter de la signature du contrat. Ce délai est porté à trois (03) mois lorsque la cession à lieu à l’étranger ou fait intervenir des entités de droit étranger. La déclaration doit être accompagnée d’un document explicatif de valorisation des actions indirectement cédées. Le non-respect de l’obligation déclarative entraine pour l’entité camerounaise, le paiement d’une amende forfaitaire plafonnée à cinq millions (5 000 000) de F CFA et une astreinte de cent mille (100 000) F CFA par jour de retard. En cas de non production du document explicatif de la valorisation des titres, l’administration peut procéder à la détermination de la plus-value imposable par tous moyens et celle-ci est opposable au contribuable. Concernant ensuite le paiement des droits d’enregistrement, il ressort de l’article 543 (c) et (d) du CGI et la circulaire loi de finances 2021 que la cession indirecte est soumise aux droits d’enregistrement au taux de 5% lorsque la cession est massive, c’est-à-dire qu’elle emporte pour le cessionnaire une détention directe ou indirecte de plus de 50% des actions. Les droits sont évalués au taux de 2% dans les autres cas. Le même article précise que les droits d’enregistrement sont assis sur la quote-part du prix de cession correspondant à la participation de l’entité étrangère dans le capital de la société camerounaise. La société camerounaise est solidaire avec le cessionnaire, du paiement des droits d’enregistrement de l’acte de cession indirecte. Pour ce qui est enfin de la plus-value réalisée sur la cession indirecte d’actions, elle est passible de l’Impôt sur le Revenu des Capitaux Mobiliers (IRCM) en application des articles 70 et 71 du CGI. L’impôt est calculé au taux libératoire de 33% lorsque la plus-value bénéficie à une personne physique ou morale établie dans un territoire ou un Etat considéré comme un paradis fiscal, et de 16,5% dans les autres cas. La base d’imposition est déterminée par la plus-value réalisée sur la cession de la participation de l’entité étrangère au capital de l’entité camerounaise. Celle-ci correspond à la différence entre le prix de cession et le prix d’achat ou la valeur d’acquisition des titres lorsqu’ils sont acquis à la constitution de la société ou par le biais d’une augmentation de capital. La loi de finances 2024 précise que le prix de cession ne peut en aucun cas être inférieur à la valeur des titres cédés. L’administration peut procéder à la valorisation des titres selon les méthodes prévues par la circulaire d’application de la loi de finances 2024. S’il est vrai au regard de ce qui précède que les divers impôts que génère la cession indirecte d’actions sont connus, il reste que le régime fiscal de cette opération mérite d’être amélioré dans certains de ses aspects.

II.        Analyse critique de l’imposition de la cession indirecte d’actions

Si les droits d’enregistrement de la cession indirecte d’actions ne soulèvent aucune difficulté, la déclaration de l’opération et l’imposition de la plus-value comportent quelques lacunes et imprécisions pouvant militer en défaveur de la préservation des droits des contribuables. Quatre principaux reproches peuvent être formulés à l’encontre du régime d’imposition actuel de la cession indirecte d’actions.      Premièrement, les règles de détermination de la plus-value (assiette de l’impôt à collecter) sont incomplètes. En effet, la législation fiscale en vigueur au Cameroun ne permet pas d’évaluer dans la valeur de cession globale intervenue à l’étranger ou au Cameroun, la quote-part qui correspond aux titres de l’entité camerounaise cédés indirectement. C’est pourtant là le challenge de l’imposition de la plus-value. Il y a donc ici un sérieux vide juridique qu’il convient de combler impérativement. Il est clair que si les règles d’assiette ne sont pas définies à l’avance par la loi, les modalités de calcul de l’impôt sont truquées avant leur application. Deuxièmement, l’obligation imposée au contribuable par le législateur de communiquer à l’administration sa méthode de valorisation des titres cédés indirectement est contraire à la constitution camerounaise. L’impôt étant du domaine de la loi conformément à l’article 26 de ladite constitution, il s’ensuit que les règles d’assiette, de calcul, de collecte ainsi que les taux relèvent de la compétence exclusive du législateur. Ce dernier aurait donc renoncé à ses responsabilités en faisant recours à la méthode de valorisation du contribuable. La valeur des titres de l’entité camerounaise indirectement cédés est un élément essentiel dans la détermination de la plus-value (assiette de l’impôt). En effet, ladite plus-value est égale à la différence entre la quote-part du prix de cession global qui correspond aux titres de l’entité camerounaise cédés indirectement et le prix d’achat ou la valeur d’acquisition des titres lors de la constitution de la société ou de l’augmentation de capital. Le législateur plutôt que de faire recours au contribuable, aurait dû édicter lui-même dans la loi de finances, de façon claire et précise, les mécanismes de valorisation des titres concernés. Pour ne l’avoir pas fait, nous avons la faiblesse de penser que le recours au contribuable prévu par l’article L 86 bis du LPF est contraire à la constitution. En cas de contentieux, la constitution étant supérieure à la loi fiscale, le contribuable serait fondé à évoquer le principe de la hiérarchie des normes juridiques pour se soustraire aux sanctions fiscales. Troisièmement, le fait pour le CGI de donner la possibilité à l’administration de procéder à la valorisation des titres sans en définir la méthode apparait comme de l’arbitraire légalisé. Cette option concerne deux cas : celui dans lequel le contribuable n’a pas produit le document expliquant son procédé de valorisation des titres et celui dans lequel l’administration estime qu’il a sous-évalué lesdits titres. Dans cet exercice, l’administration pourrait utiliser son pouvoir discrétionnaire en ce que la loi ne lui pose aucune limite. D’ailleurs, le fisc a défini certaines méthodes qu’il entend utiliser dans la circulaire d’application de la loi de finances 2024. Il est donc juge et partie et peut agir en dernier ressort, son évaluation étant opposable au contribuable selon la loi.

En somme, la cession indirecte d’actions au Cameroun entraine sur le plan fiscal la déclaration de la cession, le paiement des droits d’enregistrement et l’imposition de la plus-value. Toutefois, le régime fiscal de cette opération souffre de certains manquements et imperfections qu’il convient de combler et de corriger en vue d’éviter des abus de la part de l’administration, préjudiciables aux contribuables.

 

Auteur : Jean Didier Ozoto, Tax & Legal Consultant ; Superviseur : Albert Désiré Zang, Managing Partner

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