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L’assujettissement des entreprises liées situées au Cameroun à l’obligation de production de ladocumentation prix de transfert : un contraste avec les prescriptions de l’OCDE et de l’ONU

Dans l’optique de faire face à la prolifération de l’érosion de la base d’imposition et de restaurer la
confiance dans le système fiscal international, l’OCDE et l’ONU ont adopté des règles visant à
imposer aux multinationales de renseigner les administrations fiscales sur la politique des prix
pratiqués dans les transactions entres entités liées. Il s’agit d’un ensemble d’informations et
renseignements sur l’activité de ces dernières, regroupées sous le vocable documentation prix de
transfert. Ayant adhéré, depuis 2017, à la Convention Multilatérale de l’OCDE concernant l’assistance
administrative mutuelle en matière fiscale, le Cameroun a repris l’obligation d’établir la
documentation prix de transfert en l’intégrant et en l’aménageant progressivement dans sa législation
fiscale. Seulement, avec les lois de finances de 2024 et 2025, cette obligation qui incombe
uniquement aux entreprises multinationales situées dans des Etats distincts
a curieusement été
étendue, à travers la modification de l’article L 19 bis du Code Général des Impôts, aux entreprises de
droit camerounais détenues ou contrôlées par des entreprises établies au Cameroun, sous certaines
conditions. Dans la même logique, la lettre instruction N° 00000007/MINFI/DGI/LRI/L du Ministre
des finances du 02 janvier 2025 précisant les modalités d’application des dispositions du Code Général
des Impôts (CGI) relatives aux prix de transfert confirme à la page 5 que « les dispositions relatives
aux prix de transfert s’appliquent (…) aux transactions domestiques réalisées entre une entreprise
établie au Cameroun et une autre entreprise établie au Cameroun
qui appartient au même groupe
d’entreprises multinationales ». Le texte précise par ailleurs à la page 6 que ces dispositions
s’appliquent tout aussi dans les transactions entre un établissement stable situé au Cameroun et son
siège situé au Cameroun. Quand on sait que les problématiques de prix de transfert sont
consubstantielles aux transactions internationales, on a du mal à comprendre que la documentation
prix de transfert puisse s’appliquer aux transactions nationales intervenues entre entreprises
camerounaises établies au Cameroun. Dès lors, il devient légitime de se demander si législateur fiscal
camerounais ne s’est pas inscrit en marge de la règlementation internationale. Il est évident que son
approche présente trois principales failles.

La première faiblesse que révèle l’extension de l’obligation de production de la documentation prix de
transfert aux transactions domestiques est que le législateur fiscal Camerounais de 2024 et 2025 n’a
pas adopté une approche holistique des prix de transfert. En effet, de la lecture combinée des textes
juridiques internationaux à savoir les modèles de conventions fiscales de l’ONU et de l’OCDE
concernant le revenu et la fortune, les principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert
à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales et le Manuel Pratique de
L’ONU sur les prix de transfert à l’intention des pays en développement ; les prix de transfert ne
s’appliquent qu’aux opérations transfrontalières. Le législateur fiscal, en incluant les transactions
domestiques dans le champ d’application des prix de transfert s’inscrit donc en marge de la
règlementation internationale. Sa démarche est non conforme, non seulement aux principes de
l’OCDE qui précisent que « les problèmes internes ne sont pas considérés dans les présents Principes,
qui sont exclusivement consacrés aux aspects internationaux des prix de transfert » ; mais aussi aux
prescriptions du Manuel Pratique des Nations Unies paragraphe 1.1.6 selon lequel « Le prix de
transfert est un terme général pour l’établissement de prix des transactions transfrontalières, intra-
firmes entre les parties liées ». Il est important de souligner que la notion d’entreprises liées ou
d’entreprises associées est au cœur de la problématique des prix de transfert. De la sorte, il n’y a pas
de prix de transfert sans entreprises associées au sens, non pas de la définition de la loi camerounaise
qui englobe les entités établies au Cameroun ; mais au sens de la définition consacrée par les articles 9
du modèle de Convention Fiscale ONU et OCDE concernant le revenu et la fortune. Selon ces articles
qui posent d’ailleurs l’exigence des prix de pleine concurrence, les entreprises liées au sens des prix
de transfert sont celles qui appartiennent à une Multinationale, qui sont situées dans différents pays et
qui effectuent des transactions intragroupes. C’est uniquement et exclusivement cette définition que le

législateur camerounais et l’Administration fiscale auraient dû prendre en compte dans la mise sur
pied des règles de contrôle des prix de transfert.

Le second reproche à formuler à l’encontre du législateur fiscal résulte du fait que s’il existe une
menace d’évasion fiscale du fait des transactions transfrontalières intra-firmes, tel n’est pas le cas
s’agissant des transactions domestiques intra-groupes. De telles opérations n’ont guère besoin d’être
justifiées au moyen d’une documentation prix de transfert en ce que, dans cette configuration, il ne
saurait y avoir une quelconque éventuelle évasion fiscale. Il en est ainsi parce que les deux entités
étant situées au Cameroun, l’Administration Fiscale peut facilement contrôler leurs transactions. A
titre d’illustration, pour deux entités du groupe établies au Cameroun, le montant de leur transaction
constitue une charge pour l’entreprise X qui paie et un produit pour l’entreprise Y qui reçoit le
paiement ; chacune des entreprises étant assujettie aux règles fiscales de traitement des charges et
d’imposition des revenus conformément aux dispositions du CGI.

Enfin, le troisième désavantage réside dans le fait que l’obligation documentaire relative aux prix de
transfert désormais applicable aux entreprises camerounaises liées situées au Cameroun peut s’avérer
préjudiciable pour ces dernières. En effet, la rédaction de la documentation prix de transfert nécessite
une véritable expertise dont les entreprises ne disposent pas toujours. Ce qui peut nécessiter de
recourir aux services d’un cabinet d’expertise fiscale afin de procéder à l’établissement de ladite
documentation moyennant une rémunération qui impacte leur trésorerie. Par ailleurs, les entreprises
concernées sont à tort sous la menace de très lourdes sanctions fiscales pour non-respect des
obligations en matière de documentation prix de transfert, puisque les transactions domestiques liées
devraient normalement échapper au champ d’application des prix de transfert. L’article L 19 bis
nouveau du Livre des Procédures Fiscales dévoile que la sanction est une amende fiscale minimale de
50 millions de francs CFA par transaction et par exercice fiscal. Une telle sanction applicable aux
entités non assujetties à l’obligation de production de la documentation prix de transfert nous semble
injuste.

En conclusion, l’extension de l’obligation de production de la documentation prix de transfert aux
transactions domestiques entre deux entreprises établies au Cameroun apparait comme un non-respect
des normes internationales de l’ONU et de l’OCDE en matière de prix de transfert. Il en est ainsi parce
que les prix de transfert ne s’appliquent exclusivement qu’aux transactions transfrontalières, excluant
les transactions internes. Par ailleurs, les problématiques d’érosion de la base d’imposition et
d’évasion fiscale ne se posent pas dans la mesure ou les bénéfices demeurent au Cameroun. Le
nouveau visage de la documentation prix de transfert est de nature à exposer les entreprises
camerounaises liées à de lourdes et injustes sanctions fiscales. Il est donc impératif pour le législateur
camerounais de réviser la loi pour la conformer aux exigences internationales et pour l’Administration
fiscale de renoncer à l’application de cette mesure fortement préjudiciable au contribuable.

Auteurs : Jean Didier Ozoto, Senior Tax & Legal Consultant), Yves Bertrand Abena, Tax & Legal
Consultant ; Superviseur : Albert Désiré Zang, Managing Partner

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