Dans notre article du mois dernier portant sur le régime fiscal de la cession indirecte d’actions
au Cameroun, nous avons démontré que ledit régime repose sur des critères complexes, imprécis et
incomplets, souvent sources d’insécurité juridique et préjudiciables aux investisseurs internationaux.
Rappelons qu’au sens de l’article 42 du Code Général des Impôts (CGI) la cession indirecte d’actions
est définie comme : « (…) toute cession réalisée au Cameroun ou à l’étranger entre deux sociétés
étrangères appartenant au même périmètre de consolidation lorsque l’une des entités de ce périmètre
possède, entièrement ou partiellement, le capital d’une société de droit camerounais ». Une telle
cession indirecte met au prise trois entités distinctes. L’hypothèse est celle dans laquelle une société A
basée aux Etats-Unis d’Amérique acquiert les actions d’une société B située en France qui détient
quand elle les actions d’une société C située au Cameroun ; le transfert des titres de l’entité française
entraînant le transfert des titres de l’entité camerounaise. S’il est vrai que l’OCDE est favorable à
l’imposition de la cession indirecte et qu’une telle imposition peut être sous-tendue par le principe du
réalisme fiscal ; il n’en demeure pas moins que toute cession, fusse- t-elle indirecte, reste et demeure
une notion de droit civil dont le législateur fiscal aurait dû s’inspirer. En droit civil, la cession désigne
la transmission entre vifs, du cédant au cessionnaire, d’un droit réel ou personnel, à titre onéreux ou
gratuit. Il s’ensuit que la position du législateur fiscal, à la lumière de l’hypothèse ci-dessus, est qu’en
cédant leurs titres, les actionnaires de l’entité française cèdent également ceux de l’entité
camerounaise dont ils n’en sont pas propriétaires. Vu sous cet angle, la question est de savoir s’il y a
véritablement cession dans la cession indirecte d’actions telle qu’appréhendée par le législateur fiscal.
Cette interrogation vaut son pesant d’or en ce que le sort fiscal découle de la qualification juridique.
Il apparait sans ambages que la cession indirecte d’actions telle qu’appréhendée par le
législateur fiscal camerounais ne constitue réellement pas une cession au sens strict du droit civil et du
droit des sociétés. Sous l’angle du droit civil, trois arguments fondamentaux permettent de soutenir
notre argumentaire. D’abord, les actionnaires de la société B située en France (cédants des titres à
l’étranger), selon l’hypothèse évoquée à l’introduction, ne sont pas propriétaires des actions de l’entité
camerounaise, prétendument cédées indirectement. Or, il est admis unanimement en droit qu’une
personne ne peut transférer à autrui plus de droits qu’elle n’en a elle-même. Cette maxime est reprise
par les dispositions de l’article 1599 du code civil en ces termes : « la vente de la chose d’autrui est
nulle (…). » A cet effet, seul le propriétaire des actions de la société camerounaise en l’occurrence la
société de droit français (société B) peut céder la propriété desdites actions. Or, Il convient d’établir
dans notre cas, une distinction entre la société étrangère personne morale propriétaire des titres de
l’entité camerounaise, et les actionnaires de ladite société, propriétaires quant à eux des titres de
l’entité française cédés à l’étranger. Il est donc clair qu’on ne saurait parler ici de cession, fusse-t-elle
indirecte, pour la simple raison que les cédants étrangers ne sont pas propriétaires des actions de la
société camerounaise. Ensuite, la cession indirecte d’actions n’emporte pas transmission de leur
propriété au profit du cessionnaire. En effet, la propriété des actions ne passe des mains du cédant à
celles du cessionnaire. Il en est ainsi parce que, la répartition du capital social avant la supposée
cession indirecte sera la même au terme de ladite opération. La raison est simple : c’est la personne
morale étrangère qui est actionnaire de l’entité camerounaise, et non les nouveaux actionnaires de
ladite personne morale. Il serait donc inconvenable de parler de cession indirecte d’action. Enfin,
l’entité camerounaise, parce que dotée d’une personnalité juridique distincte de celle de l’entité
étrangère (société française B) dont les titres sont cédés, ne saurait être concernée par le contrat de
cession indirecte d’actions dont elle n’est pas partie. C’est le principe de l’effet relatif des contrats
posé par l’article 1165 du Code Civil et selon lequel le contrat n’emporte d’effets qu’à l’égard des
parties et ne peut avoir des effets à l’égard des tiers que dans les cas limitativement énumérés,
n’incluant pas la cession indirecte d’actions. L’analyse qui précède, sous la lucarne du droit civil,
démontre à suffisance que la cession indirecte d’actions repose sur des fondements juridiques fragiles.
Le constat est le même au regard du droit des sociétés.
L’examen des dispositions de l’Acte Uniforme OHADA sur le Droit des Sociétés
Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique donne également des raisons qui militent en
défaveur de la thèse fiscale d’une cession indirecte d’actions. En effet, le droit des sociétés OHADA
consacre une panoplie de conséquences inhérentes à une cession d’actions. Parce que la cession
indirecte d’actions est avant tout une cession d’actions, elle doit impérativement aboutir à ces
conséquences. Malheureusement, la cession indirecte d’actions vue sous l’angle de la fiscalité ne
donne pas lieu à trois de ces conséquences au moins. Il s’agit de la modification des statuts au moyen
d’une Assemblée Générale Extraordinaire, de l’inscription modificative au Registre de Commerce et
du Crédit Mobilier et de la mise à jour du registre des titres nominatifs. Puisque la cession d’actions
intervenue à l’étranger entre les sociétés A et B dans notre hypothèse n’entraine pas
l’accomplissement de ces formalités pour la société camerounaise C, l’on est en droit de conclure qu’il
n’y a véritablement pas cession d’actions.
Au demeurant, une cession d’actions, fusse-t-elle indirecte, reste tout d’abord une cession,
telle que régie par le droit civil des contrats. De ce fait, elle doit impérativement avoir pour effet la
transmission au profit du cessionnaire, par le propriétaire, des titres prétendument cédés indirectement,
conformément au droit civil. Elle doit par ailleurs donner lieu à la modification des statuts et du
registre de commerce de l’entité camerounaise comme l’exige le droit des sociétés OHADA.
Malheureusement, la cession indirecte d’actions telle qu’organisée par la législation fiscale actuelle ne
remplit pas ces conditions impératives. Parce qu’elle n’emporte pas cession des actions de la société
de droit camerounais, on ne saurait la qualifier de cession. Il s’agit ni plus ni moins que d’une véritable
inconvenance juridique, susceptible de créer des frictions entre les contribuables et l’administration
fiscale. Dès lors, une réforme du législateur fiscale dans l’optique de défiscaliser la cession indirecte
d’actions sera salutaire.
Auteur : Jean Didier Ozoto, Tax & Legal Consultant ; Superviseur : Albert Désiré Zang, Managing
Partner